Un documentaire centré sur le steak ? Pourquoi pas. C'est même la brillante idée qu'a eue Franck Ribière, producteur et surtout gourmet éclairé, qui pour la première fois enfile la casquette de réalisateur pour nous emmener aux quatre coins du monde à la rencontre de producteurs, et de leur viande d'exception. Un voyage initiatique gustatif qui vous fera redécouvrir la viande. Voici les 7 raisons de s'faire ce steak.
1/ Un film artisanal et familial
Franck Ribière, diplômé de l'école supérieure d'études cinématographiques (ESEC), est un producteur de films et de documentaires via ses deux sociétés La Fabrique de Films et la Ferme Productions. Pourquoi ce projet ? « C'est vraiment un truc personnel, je dirais même familial. La famille du côté de mon père élevait des vaches dans le centre de la France et j'ai toujours eu l'impression qu'on mangeait la meilleure viande au monde ». Un chauvinisme assumé qui ne laissait alors aucune place au doute.
Ce documentaire tourné avec un appareil photo aux côté de sa femme, Vérane Frédiani avec qui il a co-écrit et produit ce film, allie ses deux passions : la bonne chère et les voyages. « Je me suis mis à voyager très vite et me suis rendu compte que la viande à l'étranger était meilleure. Et j'ai essayé de comprendre pourquoi ». Voilà le fil conducteur de ce documentaire (à voir en salles dès le 5 novembre), qui à l'origine ne devait être qu'un livre, par ailleurs déjà sorti aux Editions La Martinière. « Mais je trouvais [le livre] trop visuel, et je me suis bien rendu compte que j'avais rencontré des gens épatants. Je viens du cinéma donc le choix était vite fait ». Il en résulte un documentaire aux allures de road trip familial et amical Yves-Marie Le Bourdonnec, le boucher star et pape de la maturation l'a suivi dans cette aventure. « J'ai les meilleurs souvenirs de ma vie liés à ce film ».
2/ Un plaidoyer pour une consommation raisonnée de la viande
Steak (R)évolution n'est ni une charge contre l'élevage intensif, bien qu'il soit contre - « c'est un autre sujet », argue-t-il -, ni une diatribe contre les végétariens. « Je ne me fous pas de la gueule des végétariens, ils ont raison sur plein de points », assure-t-il. Frank Ribière souhaite simplement démontrer à travers ce documentaire que la banalisation de la consommation de la viande a conduit à des excès tant du côté des industriels que des consommateurs. « Mangeons-moins, mangeons de la meilleure et faisons en sorte que ce soient des vaches nourries à l'herbe, bordel ! ». Une évidence, enfin pas pour tout le monde. « Parce que la grande révolution c'est que des gens se sont rendus compte que les vaches mangeaient de l'herbe », tempête-t-il.
Rééduquer le consommateur reste donc une priorité, voilà où commence la révolution. Le but de ce projet est de déculpabiliser les gens tout en les responsabilisant, précise le réalisateur. Mais quelles sont les clés pour adopter un comportement adéquat ? « Il y a un problème de communication sur la viande et les gens mettent tout dans le même panier et disent non à la viande ». Un tort ? Le manque de transparence y est sans doute pour quelque-chose : « c'est comme si tu rentrais chez Nicolas et que tu n'avais aucune étiquette sur les bouteilles ! ». L'âge de la bête, sa provenance et la durée de maturation, sont le trio gagnant pour Franck Ribière. En résumé, une viande d'exception ne se mange justement qu'à de rares exceptions.
3/ Une quête de saveurs...
Tout au long du documentaire, Franck Ribière établit un classement - non chronologique - de sa recherche du meilleur steak à travers le monde. Son périple l'emmène au Japon, en Écosse, en Angleterre, en Suède, en Belgique, au Brésil, en Argentine, en Italie et aux États-Unis. Et c'est à Brooklyn, chez Peter Luger, un steakhouse légendaire, que commence son escapade gourmande : « j'ai toujours pensé que c'était la meilleure. Et six mois plus tard je suis obligé de les appeler et de leur dire que leur viande n'est pas la meilleure».
Avant de s'atteler à la réalisation de ce documentaire, Franck Ribière s'est comme formé au goût pour « redécouvrir les principes de la viande » au niveau de la texture, de la mâche, de la jutosité, de la tendreté et pour, dans un second temps, affiner sa perception gustative et ainsi retrouver les nuances d'une palette de goût (notes de beurre, de noisette, d'acidité, etc). Pour lui, une différence est à faire entre ce qui est bon et ce qui fait plaisir, il prend alors l'exemple de célèbres bonbons roses : « J'adore les fraises Tagada® mais on ne peut pas dire que ça soit bon ». Il fait aussi la distinction entre une bonne viande et une viande saine, maigre plutôt. Car depuis des décennies, un procès est fait au gras. Et la viande de bœuf n'y échappe pas, alors que le plus souvent, il suffit juste de la parer, « le gras, tu le dégages ! ».
4/ … le goût (enfin) retrouvé !
En France, la viande de bœuf désigne indifféremment le bœuf (mâle châtré ou châtron), la vache (femelle du taureau), la génisse (femelle qui n'a pas vêlé) ou le taureau. Tous ces animaux appartiennent à l'espèce Bos taurus. En France, la viande de bœuf désigne indifféremment le bœuf (mâle châtré ou châtron), la vache (femelle du taureau), la génisse (femelle qui n'a pas vêlé) ou le taureau. Tous ces animaux appartiennent à l'espèce Bos taurus. ! Au Japon, le bœuf de Matsusaka - en réalité des génisses - est composé à 80 % de gras, du bon. Une viande incroyable persillée à l'extrême due en partie à son alimentation faite de céréales. Franck Ribière lui attribue quand même la troisième place : « ça a un goût extraordinaire ». « C'est émouvant », dira même Yves-Marie Le Bourdonnec.
La palme revient au bœuf de José Gordon, éleveur en Castille-et-Léon et restaurateur au El Capricho dont la viande a été élue la meilleure au monde par le Times. « Lui c'était un choc, là t'as vraiment l'impression de n'avoir jamais mangé de viande de ta vie. Tu te dis au fond de toi : ça a la goût de la viande ». Alors ses critères et sa vision sur sa propre consommation ont-ils changé après ses nombreuses dégustations ? « Je suis un petit peu plus écolo dans mon choix de viande. Aujourd'hui je mangerais plus facilement une vache anglaise élevée à l'herbe, maturée pas trop longtemps, 30 jours maximum. Avant j'étais trop dans la démesure, dans la recherche du goût par-dessus tout, là je suis plus raisonnable. Mais je ne mange plus de viande au restaurant et je vais très rarement chez le boucher. Il y a deux, trois bouchers dans le monde où je pourrais acheter de la viande : Tim Wilson, Bourdonnec, et Hendrick Dierendonck en Belgique ».
5/ La relation bête/éleveur mise en valeur
L'élevage à échelle industrielle qui transforme les bêtes en machine à viande a quelque peu dénaturé notre perception et le rapport qu'entretient l'animal avec son environnement. Franck Ribière s'est focalisé sur des hommes et des femmes qui ont privilégié une relation de proximité avec leur animal, avec comme valeur principale : le respect. Avant de se retrouver dans une assiette, le steak est cette vache ou ce bœuf qui s'est nourri, qui a grandi, qui a vécu tout simplement. Au Japon, le bœuf de Kobé est massé, déstressé avec de la musique classique ; ces soins peuvent paraître superflus mais montrent un élevage respectueux de l'animal. A Matsusaka, le couple d'éleveurs rappellent que depuis l’ère Meiji (1868-1912), sa famille élève ces bêtes et que c'est un honneur pour eux de travailler avec.
On note là une conscience du bien-être animal et de ce qu'il représente. En Espagne - sans doute une des parties les plus incroyables - José Gordon explique qu'il choisit ses bêtes, non pas en fonction de leur race, mais en fonction de leur personnalité. Pour lui, un bœuf peureux, peu sociable ne fera pas une bonne viande. Des bœufs qu'il élève pendant près de 15 ans... et qu'il achève lui-même. Sachez que d’ordinaire, ils sont abattus à 36 mois ! L'animal doit être indissociable de son environnement et s'inscrire dans son paysage. Une approche que l'on retrouve en Corse-du-Sud chez Jacques Abbatucci, éleveur (et surtout ingénieur agronome) étonnant et fort en gueule qui clos le documentaire avec cette phrase : « C'est marrant, c'est à la merde qu'on voit qu'une vache est en bonne santé ! ». Ce dernier élève en parfaite autonomie et en osmose avec la nature ses 160 vaches tigres - la Saïnata, vache corse endémique à la robe bringuée - sur plus 350 hectares de maquis à Serra-di-Ferro. « Le Corse, c'est énorme ce qu'il fait, c'est un fou ». Un respect de la nature couplé au respect de l'animal qui change définitivement la donne.
6/ Chaque pays a un rapport différent avec la viande
Ce documentaire met en lumière la relation que chaque pays établit avec la viande. Au Japon, la viande de bœuf est un condiment. Il est d'ailleurs souvent coupé en fines lamelles ou tranches pour accompagner le riz ou d'autres préparations. L'autre différence : leurs boucheries. Leurs étals contrastent avec l'abondance de nos boucheries françaises comme le fait remarquer Yves-Marie Le Bourdonnec. Une approche qui diffère complètement de celle de l'Argentine, pays de l'asado (grillade) où « la viande est une véritable culture », confirme le réalisateur. Raison pour laquelle, l'Argentine est le pays qui l'a le plus marqué. « La viande est partout, à tous les coins de rue on vend de la viande. Ils ont une relation de proximité avec la viande comme nous avec le pain », renchérit-il.
Cette « culture libérée de la viande » est paradoxalement un aspect qui l'a aussi déçu : « c'est pas forcément là où j'ai mangé la meilleure viande ». Car la plus délectable est vouée à l'exportation, et la déguster sur place devient exorbitant (80 $ une entrecôte). Ses regrets ? Ne pas être allé en Inde, pays de la vache sacrée mais 3e exportateur de viande de bœuf au monde, et surtout en Afrique : « Je faisais celui qui ne voulais pas y aller en réalité, c'est vraiment une réaction de Blanc européen de se dire "non on ne va pas en Afrique puisqu'ils n'en mange pas" ! ». Et d'ajouter : « Beaucoup de gens m'ont dit pendant le tournage que la meilleure viande qu'ils avaient mangée était au Soudan ou au Kenya. Je regrette parce-qu'il y a une vraie culture de la viande ».
7/ Une bobine à se lécher les babines
Franck Ribière qui n'avait « cinématographiquement aucune prétention », réussit à nous émouvoir avec son documentaire. Qui aurait cru qu'un documentaire sur le steak puisse donner la larme à l’œil ? Pas lui en tous cas ! « En montrant le film aux gens, j'en ai vus être émus, pleurer, rire. Je ne pensais pas que ce film allait avoir cette envergure ». Steak (R)évolution est un documentaire qui nous emmène deux heures durant aux quatre coins du globe à la rencontre d'une galerie de portraits plus étonnants les uns des autres : bouchers, ou plutôt néo-bouchers, comme ces anciens hommes et femmes surdiplômés américains qui ont changé de voie, cuisiniers comme Michel Bras, et éleveurs qui nous transportent dans leurs univers. Une découverte perpétuelle sur ce qui fait une bonne viande : bien-être animal, nourriture, patience, maturation, respect de la nature, prise de conscience et état d'esprit... C'est aussi l'occasion de découvrir la beauté de ces bêtes : de l'impressionnant bœuf de José Gordon de 15 ans mesurant plus de 1m75 au garrot aux highlands, cette race écossaise à la robe rousse et aux poils longs digne de gravures de mode dans un décor rude et venteux. Franck Ribière signe un documentaire « festif et gourmand » qui rétablit, au fond, tous les paramètres qui font l'essence même d'une bonne viande. La (R)évolution carnivore est en marche.
Bande-annonce, Steak (R)évolution, sortie en salles le mercredi 5 novembre 2014.
Le livre
Steak (r)évolution !
Vérane Frediani et Franck Ribiere
Editions La Martinière
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