Méconnue, stéréotypée, ignorée, voire sous-estimée, la gastronomie africaine sort peu à peu des oubliettes grâce à l’énergie de jeunes français dans l'air du temps qui souhaitent la promouvoir et la valoriser. Qui sont ces nouveaux acteurs et par quels moyens font-ils découvrir cette cuisine africaine aux multiples facettes ? Décryptage.
Lourde, épicée, long à préparer, voilà en substance ce qui vient à l’esprit de personnes lorsqu’est évoquée la cuisine africaine. Des raccourcis qui prouvent la méconnaissance de cette cuisine aussi riche que le continent est vaste. A juste titre. En France, la cuisine d’Afrique de l’Ouest est la plus connue - du fait de l’immigration post-coloniale sénégalaise ou malienne par exemple. Mais l’Afrique noire compte 54 pays, soit autant de cuisines différentes. D’où la difficulté de trouver un fil conducteur qui permettrait de définir ce qu’est la cuisine africaine. Une double problématique qui n’empêche pas de jeunes entrepreneurs français, cuisiniers de formation ou non, de mettre tout en œuvre pour révéler ce qui fait l’essence de la gastronomie africaine, entre tradition et urbanité.
La cuisine africaine, « un potentiel inexploité »
En 2010, partant du constat que l’offre culinaire africaine dans le paysage culinaire parisien était peu représentée, Kader Jawneh et ses deux amis-associés ouvrent Afrik’N fusion, un lieu de restauration rapide (et de service traiteur) « aux couleurs chaudes de l’Afrique et à la décoration moderne » où sont proposées différentes spécialités africaines dont les incontournables poulet yassa et thieboudienne. Un fast good de « cuisine d’ailleurs avec les codes d’ici qui offre un peu d’évasion » à la population parisienne et ce, à petits prix malgré des portions généreuses. « Il y a de bons retours sur le concept depuis le début, les gens ont été agréablement surpris. La cuisine africaine devient de plus en plus tendance, il y a un gros potentiel pour les années à venir », s’enthousiasme Kader qui souligne toutefois les a priori tenaces autour de cette cuisine pourtant « savoureuse ». Prochain objectif : élargir la gamme de plats à d’autres spécialités africaines et franchiser leur concept.
Un rêve que caresse Fati Niang, fondatrice de Black Spoon, le premier foodtruck africain apparu en 2013 qui propose également des plats typiques de l’Afrique de l’ouest comme le mafé (et qui projette de mettre à la carte des recettes congolaise, camerounaise ou éthiopienne). Si au début le camion itinérant visait à « tester le marché de la cuisine africaine » et ainsi prendre le pouls de ce « nouveau créneau », trois ans plus tard, le succès est toujours au rendez-vous : « les gens veulent découvrir quelque-chose de nouveau ! », explique-t-elle. Mais le foodtruck, moyen d’initier et de fidéliser le client, n’est qu’une pierre à l’édifice et se présente comme l’antichambre d’un projet de restaurant ou d'une chaîne de restauration. Rendre la cuisine africaine accessible à tout le monde, telle est l’ambition de cette jeune femme qui souhaite par-dessus tout que cette cuisine rentre dans nos mœurs alimentaires au même titre que la cuisine asiatique par exemple. Son leitmotiv : « venir manger africain de l'entrée au dessert !».
Cuisine afropéenne : la New Soul Food à la française
Le foodtruck comme vitrine pour faire découvrir la cuisine africaine avant un projet sédentaire ? C'est aussi le parti pris de Rudy Laine, chef pâtissier et cuisinier passé par de prestigieux établissements français (Fauchon, Jules Verne) devenu chef formateur et consultant (Des gâteaux et du pain, Myu Myu). Mais avec New Soul Food, son foodtruck graffé à l'américaine en place depuis moins de 6 mois, Rudy table sur un positionnement différent : « sortir du triptyque mafé, thieb, poulet yassa » et s'inspirer de la cuisine africaine pour proposer une cuisine métissée, à son image. Revisiter les spécialités africaine et caribéenne avec comme fil conducteur les produits africains, tout en incluant les saveurs européennes, voilà le credo de ce trentenaire qui francise le concept afro-américain de la New Soul Food pour « manger de manière rapide, simple et saine ».
La cuisson au charbon de bois et l'utilisation « au maximum » de produits africains tels que le safou, les bananes plantains ou le poivre penja pour ne citer qu'eux, sont les deux manières de mettre en avant la culture culinaire africaine. « Il faut amener les gens à découvrir la cuisine africaine et les éduquer sur les produits », insiste Rudy Laine qui souhaite créer un lexique des produits selon les régions. Pour cela, sa cuisine de rue 100 % faite maison, avec comme tronc commun le poulet mariné et braisé, s'articule autour de trois axes : les saveurs afro-caribéennes dominées par des épices antillaises comme la poudre à colombo, les saveurs afro-subsahariennes avec des épices comme le pébé (fausse noix de muscade) et la sauce mafé revisitée, et enfin les saveurs afropéennes avec l'attiéké (couscous ivoirien à base de manioc) agrémenté de tomates confites, la sauce yassa parfumée à la moutarde à l'ancienne ou avec la crème glacée au coulis de framboise et de bissap. Intégrées avec subtilité et par petites touches, ces nouvelles saveurs séduisent néophytes et aficionados d'origines différentes. Et de conclure : « ça fait plaisir de voir que l'on a une carte à jouer. Mais pour qu'un enfant grandisse, il faut tout un village ! ».
« La cuisine africaine est la seule qui n'a pas évolué depuis des années »
Si les gens lambda s'intéressent de plus en plus à la cuisine africaine, les grands chefs cuisiniers (européens) semblent encore hermétiques. Mais c'était sans compter sur de jeunes africains ou français d'origine africaine qui ont à cœur de rendre hommage à cette cuisine. Si aux États-Unis, le chef Pierre Thiam a popularisé la cuisine sénégalaise il y a 30 ans, en France, peu de chefs africains ont réussi cet exploit. Même si à Paris, des restaurants comme l’Equateur, Rios de Camaraos, le Ménélik et sa cuisine éthiopienne, ou encore la cuisine sud-africaine de My Food Montreuil ont pignon sur rue, force est de constater que l'empreinte d'un chef africain est loin d'être évidente.
Pourquoi donc un tel manque de visibilité ? Encore aujourd'hui, les restaurants africains restent majoritairement communautaires, ce qui n'appelle en rien à la curiosité. Et à cela s'ajoute l'absence, non d'une révolution, sinon d'une transition culinaire africaine. « La cuisine européenne a beaucoup évolué alors que ce n'est pas le cas dans la cuisine africaine qui se caractérise par des plats mijotés, une cuisine qui demande du temps ! » rappelle Fati Niang. Des propos que corroborent Rudy Laine en pointant du doigt le manque de recherche dans la carte des restaurants et la sous exploitation des produits exotiques. Mais depuis peu, les choses tendent à évoluer avec des restaurants comme Waly-Fay ou avec la multiplication de fast good à l'africaine comme A-Box ou Osè qui misent sur une cuisine africaine fraîche, moderne et décomplexée.
Afro-fusion, ou la gastronomie africaine en ébullition
S'éloigner des recettes traditionnelles africaines tout en intégrant des produits africains dans des recettes européennes, tel est le cheval de bataille de Loic Dablé, jeune chef français d'origine ivoirienne, avec Café Dapper, son restaurant situé non loin du Trocadéro à Paris. Une nouvelle cuisine africaine aux influences diverses désormais connue sous le nom d'afro-fusion. Un terme galvaudé et fourre-tout ? Pas lorsqu'on écoute attentivement Dieuveil Malonga, jeune chef congolais de 24 ans (1) qui définit l'afro-fusion comme un « pont culinaire entre la gastronomie africaine et la cuisine du monde ». Mais aussi et surtout comme une façon de réconcilier, dans l'assiette, toutes les cuisines africaines.
Une vision panafricaine et européanisée qui valorise des produits typiquement africains, qu'il se plaît d'ailleurs à retravailler. Une habitude qu'a prise Dieuveil à l'adolescence dès son arrivée en Allemagne, pays où il a fait toutes ses études de cuisine, remporté des prix et officié dans des restaurants étoilés. Sa cuisine afro-fusion est une façon pour lui de faire visiter l'Afrique tout en « appliquant les techniques européennes » et en misant sur l 'esthétique. « Pour faire connaître la cuisine africaine, il faut passer par la gastronomie et apporter cette richesse à travers le travail de l'esthétisme, car si on reste dans les souvenirs, si on ne casse pas les codes, on n'évoluera pas ! », assure-t-il.
Pour dépoussiérer la cuisine africaine, Dieuveil revisite les plats en y apportant sa touche personnelle : il adapte le mafé au gré des saisons, ou remplace, dans le Mbongo tchobi (spécialité camerounaise) le poisson par des noix de Saint-Jacques snackées servies avec cette fameuse sauce ébène et une purée de bananes plantains. Un plat délicat et haut en couleurs comme son plat signature : un crumble de farine de manioc au cacao et aux épices en forme de l'Afrique garni de fruits frais et de pointes de crème de passion et d'hibiscus. Un dessert qui traduit vraiment l'entrée de la cuisine africaine dans l'ère moderne.
Car aussi millénaire soit-elle, « la cuisine africaine n'a pas de trace, il y a un grand travail à faire », rappelle Dieuveil Malonga. Un travail de Titan et un défi que ce jeune chef passé furtivement par Top chef 2014 s'emploie à relever, en voyageant à travers le monde pour cuisiner lors d'événements artistiques (défilé de Rick Owens, Biennale de Venise, etc.) et en parcourant le continent africain pour aller à la rencontre des grands-mères africaines et apprendre à leurs côtés, puiser dans leurs connaissances, et ensuite diffuser ce savoir-faire aux jeunes chefs locaux pour les former. Une démarche pédagogique pleine de sagesse qui prouve encore une fois que l'espoir, la jeunesse et le courage feront émerger l'Afrique sur le plan gastronomique. « J'ai compris qu'il faut aller vers les gens et avoir cet échange pour laisser des traces. Soyons tous des ambassadeurs de l'Afrique !».
(1) Le chef Dieuveil Malonga participe à La Brigade, nouvelle émission sur fond de road trip culinaire aux côtés d'anciens candidats de Top Chefs et de Nathalie N'Guyen, qui sera diffusée sur France ô à partir du 16 février à 20h45.
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