Mais où sont passées les tomates d’antan ? Celles que l’on trouve aujourd’hui sur les étals ont bien souvent le cœur creux, la chair pâlotte et un triste goût d’eau. Pour retrouver la piste des savoureux spécimens anciens, nous avons glané quelques conseils auprès de Louis-Albert de Broglie, propriétaire du Château de la Bourdaisière qui abrite le Conservatoire national de la Tomate.
On l’appelle « le prince jardinier » et il est propriétaire du « château de la tomate » - le château de la Bourdaisière en réalité – une demeure vénérable située à Montlouis-sur-Loire (37), que Louis-Albert de Broglie a achetée en 1991 et dans les jardins duquel il a fait planter au fil des années des dizaines puis des centaines de variétés de tomates.
« J’avais acheté une propriété en 1991 avec un potager du XIXe siècle complètement délaissé. Par curiosité, j’y ai apporté des variétés anciennes trouvées chez des associations qui militaient pour la préservation du vivant, qui luttaient contre les hybrides. J’ai planté des légumes, des herbes aromatiques… », se souvient Louis-Albert de Broglie.
Au Château de la Bourdaisière, tomates rouges, vertes ou bleues
Aujourd’hui, son Conservatoire national de la Tomate rassemble 650 variétés de tomates, une collection unique au monde, bigarrée, insolite. Sur les panonceaux accrochés aux plants, les noms font voyager ou sourire : il y a la Dix doigts de Naples, la Rouge d’Irak, la Cornue des Andes, la téton de Vénus, la Banana Leg… Les tomates sont noires ou roses, allongées, bosselées, zébrées, énormes ou minuscules. On est loin du modèle rond, rouge et calibré immuablement présent au supermarché de janvier à décembre.
Et parmi ses 650 protégées, Louis-Albert de Broglie a ses favorites : « J’adore la Verna Orange. On la coupe en deux et on la mange à la cuillère avec de la fleur de sel et un peu d’huile, c’est comme une mangue ou un avocat. Il y a aussi la Washington Cherry, une petite tomate cocktail de la taille d’un cochonnet, très sucrée, absolument délicieuse, à déguster en salade. L’Ever Green aussi, qui, coupée en quatre et mélangée à d’autres tomates comme la Tom's Yellow Wonder, la Rose de Berne et la Black Prince, fait des salades superbes. L’Erika d’Australie, je la coupe en steak et je la saisis sur un grill avec des herbes… », énumère amoureusement notre prince jardinier.
Plus loin dans les jardins du château, le seul et unique Bar à tomates du monde offre aux visiteurs l’occasion de goûter cette diversité en salade, en jus, en gaspacho et même en sorbet. La vue sur le Dahliacolor (le jardin aux 400 variétés de dahlias, une autre pépite de la Bourdaisière) y est imprenable. Chaque année, en septembre, un Festival de la Tomate est organisé au château, apprend-on également au cours de notre balade potagère. Grâce à des producteurs locaux de fruits et légumes, à des ateliers culinaires et de dégustation, on y oublie un moment la tomate de supermarché pour célébrer la tomate de goût.
Mais pourquoi les tomates n’ont-elles plus de goût ?
« Tout a commencé dans les années 1950 avec le grand développement des tomates hybrides », explique Louis-Albert de Broglie. « C’était la montée en puissance de la distribution, il en fallait un maximum sur les étals, le fruit devait être beau et se transporter facilement. » D’où l’omniprésence qui perdure aujourd’hui de la tomate hybride ronde et rouge, cultivée la plupart du temps hors-sol, hors-saison et hors-frontières, cueillie encore verte pour arriver rouge sur les étals et… sans intérêt gustatif aucun. Il est désormais quasi-impossible de trouver une tomate ancienne dans les lieux de distribution courants.
Même le client avide de saveurs qui remplira son panier de tomates estampillées « Cœurs de bœuf » a de grandes chances de tomber sur une pure arnaque : « Ce que l’on appelle "Cœur de bœuf" sont à 90% des produits insipides, creux, à la peau épaisse et de consistance farineuse », s’indigne Alain Cohen, grossiste à Rungis, dans un récent article de Challenge. Ce sont en réalité des tomates qui ont été hybridées pour avoir l’aspect d’une tomate ancienne mais qui sont produites de façon moderne pour rester belles 15 jours, au détriment du goût. Et la Cœur de bœuf n’est pas la seule tomate ancienne dont on usurpe le nom. « C’est le cas de la Noire de Crimée, de la Green Zebra… », s’indigne Louis-Albert de Broglie. Quant à la tomate grappe, elle flatte l’œil et l’odorat avec sa petite branche bucolique et son parfum de verdure mais elle est un hybride comme les autres, dont seule la tige dégage un arôme.
La solution : petits producteurs et grands bocaux
Que préconise donc notre expert de la tomate ? De revenir à la raison, tout simplement. « Pour avoir des tomates avec du goût, la production doit se faire en terre et sous serre sur des périodes courtes. Si le consommateur demande des tomates en quantités considérables, on va faire venir de Hollande et d’Espagne des hybrides de faible qualité », explique Louis-Albert de Broglie. Et le prince jardinier d’analyser : « On a tous un penchant consumériste, on a besoin d’aller faire des courses mais il faut revenir à une sobriété de la consommation, acheter moins, favoriser les petits producteurs et les circuits courts ». D’autant que l’achat en direct réduit considérablement les chances de mal choisir ses tomates : « Il suffit de demander au producteur. Il saura vous dire "celle-là est sucrée, la piment est parfaite pour les sauces, celle-ci est creuse, on peut la farcir". C’est aussi simple que cela », s’amuse notre expert.
Autre maître-mot des plus évidents pour renouer avec le goût : se reconnecter avec les saisons, acheter uniquement en période et cela n’implique nullement de devoir renoncer à la tomate de novembre à mai : « On peut préparer et garder les produits en bocaux, séchés, en sauce tomate pour les déguster toute l’année », rappelle Louis-Albert de Broglie. À vos casseroles, c’est le moment.
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