Il est des métiers que l’on n’a pas coutume de voir exercer par des femmes, celui de boucher en fait partie. Pourtant, de plus en plus de femmes choisissent cette voie, à l’instar de Marie-Flore Keumegne, bouchère depuis une décennie, formée auprès d’Yves-Marie Le Bourdonnec, pape de la viande maturée. Portrait d’une femme de caractère passionnée mais critique sur ce métier longtemps dénigré.
Une passion née « par hasard »
« Êtes-vous prêt à prendre n’importe qui ? C’est une femme, elle a un enfant et elle est noire ». Voilà comment Marie-Flore Keumegne, alors inscrite à l'école de boucherie, fut présentée à Yves-Marie Le Bourdonnec, désespérément à la recherche, il y a dix ans, d’un apprenti fiable. « J’étais atterré », se souvient encore le boucher star bien décidé à la rencontrer. Une phrase qui a sans doute scellé le destin de la jeune femme : après avoir officié des années durant dans la boucherie originelle d'Asnières, Marie-flore est aux commandes, depuis bientôt trois ans, de la boucherie située rue Victor Hugo, dans le très huppé 16e arrondissement de Paris. Une relation basée dès le début sur « une confiance mutuelle » qui lui permet aujourd’hui d’être « totalement autonome » et de vivre pleinement de sa passion, d’ailleurs née « par hasard ».
Pas franchement intéressée par ses études de sciences économiques - « les chiffres, ça me gavait » -, c’est lors d’un entretien à la mission locale qu’elle tombe sur une offre d’emploi de boucher. Une révélation ? Non, Marie-flore Keumegne est plutôt interpellée et intriguée par ce métier. C'est sur le « terrain » et auprès de son mentor que se révèle sa passion, motivée surtout par cette envie de découvrir le métier et de reproduire les mêmes gestes. Dix ans après, avec son BEP et son bac pro en poche, Marie-Flore gère une équipe de quatre personnes et accueille, les jours de grande affluence près de 200 clients par jour. Un succès mérité.
« Certains veulent te prendre de haut parce-que tu es une femme »
Marie-Flore Keumegne est un petit bout de femme qui en impose. « Elle a du caractère ! » : une phrase qui revient souvent dans la bouche de personnes qui la côtoient, d’Yves-Marie Le Bourdonnec au fils de ce dernier, lui aussi boucher et qu'elle a d'ailleurs formé, en passant par Eric le caissier. Car détermination et pugnacité la définissent. La réaction de ses proches à l’annonce de sa future carrière de bouchère ? De l’incompréhension. « Ça ne va pas, tu es malade ! », est ce qu'elle a le plus souvent entendu. Elle trouvera du soutien en la personne de sa mère, compréhensive, mais inquiète que sa fille choisisse un métier d’hommes, qui plus est réputé difficile.
Mais Marie-Flore se sent « prête ». Et les petites incertitudes sur son choix de carrière ont vite été balayées par sa détermination et sa volonté de devenir bouchère. Sur la difficulté d’évoluer dans ce milieu en tant que femme, Marie-Flore élude la question tout en reconnaissant que son caractère ne laissait pas la moindre place à une quelconque remarque ou comportement sexiste. Au début, les clients surpris et étonnés de voir une femme devant un billot de boucher, se tournaient systématiquement vers un de ses collègues masculins, « mais passée la surprise, ça se passe bien, ils sont confiants quand ils me voient travailler », ajoute Marie-Flore. « C'est un bel exemple pour les femmes, elle est passionnée », renchérira Eric.
« Je suis contre la violence »
Néanmoins, Marie-Flore Keumegne jette un regard critique sur les coulisses de sa profession. Si évoluer dans un environnement machiste en tant que femme n’a pas toujours été pas facile, c’est la violence physique et verbale qu’elle déplore le plus. Elle-même a été témoin de gestes violents au cours de son apprentissage. « Il faut changer la mentalité des vieux bouchers qui raisonnent de manière archaïque et veulent former à la dure comme eux l'ont été, ou à leur façon sans véritable pédagogie, ou avec la permission de les cogner ! ». Si le regard des gens changent sur cette profession autrefois dévalorisée, surtout grâce à la starification de bouchers comme Hugo Desnoyer et Yves-Marie Le Bourdonnec avec qui elle a vécu l'ascension médiatique, Marie-Flore souhaite que le changement s’opère de l’intérieur. Un environnement violent (l’alcool n’y est pas étranger) qui pousse certains apprentis « dégoûtés » à se détourner de cette profession aujourd’hui plus que jamais en demande de bras.
Si elle n'est pas tendre avec les bouchers de la vieille école, Marie-Flore n’épargne pas non plus les apprentis qui ne font preuve d'aucune conscience professionnelle : « lundi, j'en ai viré un, il arrive avec deux heures de retard alors que je suis au travail depuis 6h du matin et il prend une pause café à son arrivée ! », peste-t-elle. Exigeante avec elle-même comme avec les autres, Marie-Flore Keumegne transmet son savoir-faire et sa passion avec la même rigueur avec laquelle elle s’astreint : « je suis très stricte, je suis très perfectionniste même dans la vie de tous les jours. J’aime bien quand les choses sont bien faites ». La bouchère a déjà formé quatre personnes en reconversion professionnelle, notamment Tim Sautereau à la tête de la boucherie rue Ramey et Paul de Monteynard, responsable de la boutique, rue du Cherche-midi.
« On est plus artistes que bouchers »
Le métier de boucher est exigeant et pour Marie-Flore Keumegne avoir une bonne hygiène de vie est fondamental : « il faut être réveillé, concentré, et surtout ne pas être fatigué ou distrait, c’est un métier qui reste dangereux, on manipule des objets tranchants comme la feuille de boucher ! ». D’autant que c’est un travail physique, donc « jamais statique ». "C'est un boulot considérable", admet-elle : la journée commence aux aurores, les préparateurs désossent en fonction de ce que demande Marie-Flore avant que celle-ci découpe, ficelle pour préparer et installer sa vitrine.
Les viandes sont harmonieusement rangées derrière de larges baies vitrées réfrigérées. Des produits de première qualité provenant d’éleveurs avec lesquels, elle et Yves-Marie, ont posé leurs conditions : les bêtes doivent être nourries à l’herbe, hormones et pesticides bannis. « On a toujours fonctionné comme ça », martèle la bouchère pour qui cette manière de travailler est juste, aussi bien envers l’éleveur que le consommateur. « Il ne s’agit pas juste d’aller à Rungis et d'acheter n’importe quoi pour gagner du blé », poursuit-elle.
Cette vision différente de la boucherie, Marie-Flore Keumegne l’exprime aussi à travers « la très bonne relation » qu'elle établit avec la clientèle qu'elle conseille et oriente avec perfection. Son métier, elle le voit davantage comme une expression artistique où une attention toute particulière est apportée aux pièces de viande découpées, parées, etc. Ses créations originales : la poularde au lard de colonata, la côte ce cochon ibaïona au piment d'Espelette, des gigots confits, et des selles d'agneau farcies au pesto et aux tomates confites. Une petite touche personnelle que Marie-Flore Keumegne se plaît à mettre en avant. La boucherie peut aussi se conjuguer au féminin.
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