S’il est un lieu chargé d’histoire, c’est bien ce restaurant dont les salles sont inscrites aux monuments historiques. Son origine remonte au XVIIe siècle, lors de la construction du Palais-Royal par Richelieu.
Le Palais-Royal : au cœur de la vie parisienne
Le cardinal de Richelieu (1585-1642), premier ministre de Louis XIII veut avoir son propre palais et acquiert, en 1624, l’Hôtel de Rambouillet situé au milieu de la rue Saint-Honoré, non loin du Louvre où le Roi réside. Les travaux de ce qui doit s’appeler alors le Palais Cardinal débutent le 4 juin 1629. À sa mort, Richelieu le lègue au Roi. Anne d’Autriche s’y installe parce que ce somptueux palais est moins humide que le Louvre et que ses enfants, Louis XIV et Philippe d’Orléans (dit Monsieur), peuvent jouer dans les jardins. C’est alors que le Palais Cardinal devient le Palais-Royal. En 1692, Louis XIV le donne à son frère. Son fils, Philippe d’Orléans en hérite et c’est là qu’il habite lorsqu’il devient régent du royaume à la mort de Louis XIV en 1715. Il y fait des travaux, ouvre les jardins au public, organise des fêtes somptueuses et multiplie les soupers fins. Des cafés et des baraques vendant glaces et boissons s’y installent, et les premiers restaurants et boutiques voient le jour sous les arcades construites dans les années 1780.
Du Café de Chartres au Grand Véfour
Le 4 mai 1782, le limonadier Aubertot loue sur plan une des boutiques en construction située juste en face d’un théâtre. Il l’ouvre en 1784, le nomme le Café de Chartres (cette enseigne figure toujours sur la façade côté jardin du Grand Véfour actuel). Puis il le vend à Jean-Baptiste Fontaine qui en fait un des cafés les plus chics et les plus courus où l’on peut également se restaurer à toute heure. Aristocrates, intellectuels et gourmets le fréquenteront assidûment les décennies suivantes. En 1820, Jean Véfour le reprend. Cet homme assez mystérieux est né en 1784 dans la Loire, est « monté à Paris », a peut-être été cuisinier de Louis-Philippe d’Orléans, le futur roi, mais on n’en a aucune preuve. Très vite, il réussit son but : transformer ce Café de Chartres en un restaurant somptueux. L’entrée est déplacée sur la rue de Beaujolais, les salons sont luxueusement décorés et une cuisine est aménagée sur chacun des trois niveaux. En trois ans, il atteint son but : le Grand Véfour est la meilleure table de Paris. Il est devenu « Grand » lorsqu’un homonyme a eu la vilaine idée de s’installer non loin de chez lui. Fortune faite, il le revend en 1823 à son ami Louis Boissier qui ensuite le cède, en 1827 aux frères Hamel.
Lieu de prédilection des élites
En 1828, un incendie ravage les galeries du Palais-Royal. Sa clientèle se détourne vers « Le Boulevard », devenu à la mode. Mais le Grand Véfour résiste et ses déjeuners, selon Grimod de la Reynière, sont « très bien portés » et les plus courus de Paris. Le nouveau propriétaire, M. Tavernier poursuit la même route. Après une éclipse de quelques années, le restaurant retrouve toute sa gloire, d’autant plus qu’il se prolonge dans les jardins. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, il est le lieu de prédilection des élites politiques et littéraires. Victor Hugo y a son rond de serviette et son menu, toujours le même : vermicelle, poitrine de mouton et haricots blancs. Mais tout bascule assez brutalement au début du XXe siècle. Le Véfour ferme, seul un café subsiste au rez-de-chaussée qui ne cessera de changer de propriétaire pendant les décennies suivantes.
Le Véfour redevient grand
Le sauveur arrive en 1944 : c’est Louis Vaudable, propriétaire de Maxim’s, fermé pour cause de guerre. Il le restaure à grand frais, prend Colette de Jouvenel (la fille de Colette, l’écrivain, qui habite dans un appartement du Palais-Royal tout proche du Véfour) comme attachée de presse. Mais le succès n’est pas vraiment au rendez-vous et trois ans plus tard, Louis Vaudable s’associe à un jeune chef à l’accent chantant du sud-ouest : Raymond Oliver (1909-1990) qui a été élevé dans la cuisine de l’hôtel-restaurant familial, le Lion d’Or à Langon, en Gironde. Son père, Louis, formé par Escoffier au Savoy à Londres, l’envoie faire son apprentissage à Paris. Après quoi, il le récupère et lui inculque une cuisine à la fois classique et régionale, toujours généreuse. Mais les aléas de la guerre ont éloigné Raymond Oliver de Langon. Quand il rencontre Louis Vaudable, il œuvre à l’Ours Blanc à l’Alpe d’Huez en hiver, à la Pointe Bouillabaisse à la Croix-Valmer pour une très chic clientèle parisienne qui souhaite très fort son installation dans la capitale. Il prend le Grand Véfour en main et y apporte quelques changements dans le décor. Dès l’ouverture, en octobre 1948, le succès ne se fait pas attendre.
Le Grand Véfour de Raymond Oliver
Au sortir des restrictions de la guerre, les assiettes généreuses de Raymond Oliver sont plus que les bienvenues ! D’autant plus qu’il a l’art et l’intelligence de mêler luxe, classique et régional. Il crée, entre autres, la Sole Véfour (avec crevettes, champignons, armagnac, le tout nappé d’une sauce hollandaise), l’Œuf Louis Oliver où le foie gras est installé avec une sauce Périgueux et des truffes hachées. Il n’hésite pas à servir celui-ci froid ou chaud, étonnant ses clients, dont Colette et Jean Cocteau, ses voisins qui deviennent ses fidèles amis . La première, pour qui il crée un koulibiac de saumon, lui rédige une plaquette tandis que Cocteau illustre la carte. Le Grand Véfour devient LE restaurant du Tout-Paris où se bousculent intellectuels, artistes et politiques.
Et quand, en 1953, Raymond Oliver inaugure « Art et magie de la cuisine », la première émission de cuisine à la télévision, avec Catherine Langeais, il devient une vedette nationale. Tous les bouchers français sont dévalisés au lendemain d’une recette de steak au poivre ou de lapin. Cette même année, le Grand Véfour obtient la consécration suprême : les Trois Étoiles du Guide Michelin qu’il va garder pendant trente ans. L’une s’envole en 1983. Un attentat ravage le Grand Véfour le 23 décembre de cette même année. En 1984, Raymond Oliver, 75 ans et fatigué, cède le Grand Véfour à Jean Taittinger, président de la Société du Louvre, groupe de luxe réunissant plusieurs palaces (Crillon, Lutétia, Martinez, etc.) et les champagnes familiaux. Il faudra des mois et des mois de travaux pour réhabiliter le Grand Véfour et quelques années avant de lui retrouver un chef digne de lui.
Le Grand Véfour de Guy Martin
Jean Taittinger s’en va chercher le chef savoyard Guy Martin. Il a 34 ans, il est bien installé avec ses deux étoiles Michelin au Château de Divonne dont il est le chef et le directeur depuis 8 ans. Cet amoureux de la montagne n’a pas vraiment envie de vivre et de travailler à Paris. Par courtoisie, il s’y rend, un jour de novembre 1991. Dans une interview de l’Hôtellerie Restauration, il raconte : « Je traversais le jardin du Palais-Royal pour la première fois et quand j'ai poussé la porte, j'ai fait : 'Waouh' ! Aujourd'hui encore, quand j'arrive le matin, je fais toujours waouh ! ». Il s’y investit totalement, en prenant non seulement les commandes des cuisines mais aussi la direction. Le Grand Véfour retrouve très vite sa clientèle exceptionnelle et ses étoiles, la troisième en 2000.
Mais, après que le groupe Taittinger a été repris par le fonds d’investissement américain Starwood capital, Guy Martin achète le Grand Véfour en janvier 2011. Il sauve ainsi non seulement « la stabilité de son équipe », comme il le précise dans son communiqué de presse, mais le Grand Véfour lui-même, les critères d’un fonds d’investissement américain n’étant en rien compatibles avec ceux de ce joyau historique de la gastronomie. Renouvelée chaque saison au gré des produits et des inspirations de ce grand voyageur qu’est aussi Guy Martin, la carte conserve les grands classiques : Pigeon Rainier III, Ravioles de foie gras, crème foisonnée truffée, Parmentier de queue de bœuf aux truffes. Le décor, classé aux monuments historiques, est religieusement entretenu ; les clients se disputent les banquettes qui portent une plaque de cuivre au nom des hôtes célèbres du passé. Le Grand Véfour reste sans conteste un lieu hors du commun.
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