Le crêmet, grand oublié de la gastronomie angevine
Par Fanny Stramaccioni - 8 janv. 2022 - Mis à jour le 12 janv. 2022
Un produit, une histoire

Si le vin d’Anjou est parvenu à assurer sa renommée, qu’en est-il du discret crêmet ? Levons le voile sur cette préparation légère et aérienne, composée seulement de 3 ingrédients, mais qui pèse dans la patrimoine angevin.

Crédits : DR - ADGLe crêmet doit notamment sa particularité à sa forme de coeur.

Le crémêt ? Un "laitage fait avec de la crème, au moment où elle va tourner au beurre dans la baratte", selon la définition donnée en 1908 par A.-J. Verrier et R. Onillon. Treize ans plus tard, Marc Leclerc en parle comme un "régal des dieux", dans le volume de La France gastronomique de Curnonsky et Rouff, consacré à l'Anjou. Mais alors, comment s'est-il fait oublier ?

Sophie Reynouard, institutrice de métier, a eu à cœur d'en retracer l'histoire dans son livre Le crêmet d'Anjou, trois cents ans d'histoire gourmande. Si la date exacte de création est difficile à déterminer, elle retrouve des traces de son existence dans les archives départementales d’Angers, en 1702, sur les notes de frais de bouche de la table municipale de la ville. A cette époque, on l'appelle “fromaiges de cresme”.

Des problèmes dentaires du Roi-Soleil à l'apogée du crêmet

Alors âgé d’une quarantaine d'années, Louis XIV se fait arracher un petit bout de dent. C’est finalement toute une partie de la mâchoire maxillaire qui part lors de l'intervention. Le roi de France et de Navarre enchaîne infection sur infection et, après avoir frôlé la mort suite à une septicémie, survit grâce à un nouveau dentiste qui cautérise le trou béant au fer rouge. Cet événement signe alors un nouveau virage dans la gastronomie française : l’invention des mousses, glaces et sorbets. Il n'en fallait pas plus au crêmet pour devenir l'entremets des rois.

L’Anjou, région aux nombreux châteaux, copie la cuisine de la cour pour “être à la mode” mais apporte aussi sa touche à ce fromage de crème : l’intégration de blancs d’œufs fouettés et moulés dans un moule en forme de cœur. Si le succès est retentissant, la recette elle, reste secrète.

Il faudra d'ailleurs attendre le XIXe siècle pour que le premier commerce de crêmet voie le jour, grâce à Marie Renéaume, cuisinière de grande maison, et André Girault, chef jardinier aux Augustines. On dit d'ailleurs que c'est elle qui a inventé ce petit dessert mousseaux, en mélangeant un fond de crème avec des blancs d'œufs montés en neige. Elle a ensuite rempli des verres à porto de cette préparation qu'elle a, une fois démoulé, nappée de crème fleurette saupoudrée de sucre vanillé.

De la lente disparition du crêmet...

Une spécialité régionale peut exister grâce à plusieurs critères : l'appartenance à un terroir, l'empreinte territoriale des produits permettant sa préparation, la transmission de la recette et le fait qu'elle puisse sortir de ses frontières. Le crêmet n'est hélas parvenu à cocher cette dernière case.

Curnonsky raconte d'ailleurs que “la richesse du crêmet, c’est qu’il faut venir le manger sur place car il est intransportable". La raison ? Un moule en terre cuite nécessaire à sa préparation et à son conditionnement, ainsi que sa texture mousseuse et délicate, difficilement transportable.

... jusqu'au retour en grâce ?

Crédits : DR - ADGMoules signés Karin Chopin-Lolliérou

Avec la volonté de proposer une cuisine 100% angevine dans sa maison d'hôte, Sophie Reynouard a remué ciel et terre pour redonner au crêmet ses lettres de noblesse, en relançant sa production. Après s'être mise en relation avec un potière de la région, Karin Chopin-Lolliérou, cette passionnée a également fait le tour des boulangers, pâtissiers, chocolatiers... à la recherche de volontaires pour remettre ce dessert d'antan sur le devant de la scène.

C'est la confiturière Les Délices de Flo qui donne un coup de pouce à Sophie, en l'invitant au marché des commerçants de la place du lycée d'Angers. L'engouement est tel que le boulanger du P'tit Moulin propose à la vente les crêmets de Sophie. L'aventure pouvait (re)commencer.

Déterminée, l'historienne ne s'arrête pas en si bon chemin. Elle créée également l'Association des passionnés d'Anjou et œuvre pour que la recette du crêmet soit inscrite au patrimoine de l'Anjou par l'INAO. Pour découvrir toute son aventure, en savoir plus sur ce dessert peut-être méconnu mais aussi découvrir de nombreuses recettes dont certaines écrites par des chefs comme Laurent Petit ou Pascal Favre-d'Anne, jetez un œil à son ouvrage, à mi-chemin entre livre de recettes de cuisine et guide historique et touristique.

La recette de Sophie pour 4 personnes :

Ingrédients : 3 à 4 blancs d'oeufs (120g) à température ambiante - 240g de crème fraîche épaisse ou liquide entière bien froide - 20 à 50g de sucre liquide complet de canne - quelques gouttes de jus de citron - 1/2 gousse de vanille

Matériel : 4 moules crêmets d'Anjou - 4 gazes (compressetissée nonstérile 20x20cm) - 1 balance - batteur - 2 saladiers - 1 cuillère en bois - 1 plateau - du film protecteur

Préparation : Séparez les blancs des jaunes. Mettez les blancs dans un saladier pour les battre. Pesez les blancs d'oeufs : il vous en faut 30g par moule environ. Ajoutez-y quelques gouttes de jus de citron (crêmets sucrés) ou une pincée de sel (crêmets salés) pour les serrer ou faites comme Sophie : commencez à fouetter les blancs tout doucement puis dès qu'ils commencent à prendre, arrêtez. Ajoutez la pincée de sel ou de jus de citron et recommencez à fouetter à vitesse maximale.

Préparez la crème dans un autre saladier plus grand : vous avez besoin du double du poids des blancs d'oeufs. Ajoutez-y le sucre liquide et grattez-y une demi gousse de vanille, de préférence de Tahiti.

Fouettez la crème jusqu'au crêmet, c'est à dire en allant au delà de la crème fouettée pour la chantilly mais en s'arrêtant avant que la crème commence à former des sillons et à donner des reflets jaunes. Arrêtez vous à temps sinon vous aurez du beurre ! Introduisez les blancs dans la crème (et non le contraire) peu à peu en faisant attention à ne pas casser les blancs. Posez la compresse dépliée sur le moule et faites-y tomber une cuillère de crêmet : ça va enfoncer la compresse dans le moule et vous pourrez rectifier son positionnement. Remplissez le moule jusqu'en haut et aplanissez la surface. Refermez le gaze sur le crêmet pour éviter que celle-ci ne trempe dans le fond du plateau et ne fasse remonter le jus par capillarité. Déposez les moules dans un plateau et recouvrez d'un film alimentaire pour éviter qu'ils ne prennent les goûts du réfrigérateur. Laissez reposer au moins 6h, le mieux étant la veille pour le lendemain.

Au moment se servir, disposez toujours le crêmet avant la garniture. Ouvrez le gaze. Tirez dessus pour décoller le crêmet de son moule puis retournez le moule dans l'assiette. Avec une main tenez le gaze sur l'assiette et de l'autre tirez sur le moule à la verticale pour ne pas abimer le crêmet. Retitez le gaze délicatement et garnissez selon vos goûts.

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