Mangerions-nous sans les abeilles ? C'est une question que l'on est en droit de se poser puisque la surmortalité de ces pollinisateurs s'accroît d'année en année. Pesticides et aléas climatiques favorisent cette hécatombe qui se traduit par une baisse fulgurante de la production de miel. Quelles sont les solutions pour y remédier ? Est-il encore possible d'inverser cette triste tendance ? Réponses avec Henri Clément, porte-parole de l'UNAF (Union nationale de l'apiculture française).
Le déclin des abeilles : entre espoir et désespoir
2014 fut l'une des pires années dans l’histoire de l’apiculture : on note, selon les régions, une baisse de récolte de miel de 50 % à 80 %, soit 10 000 tonnes de miel pour 2014 contre 32 000 tonnes en 1995 (*). Une baisse significative qui va de pair avec la disparition inquiétante de ruches (on est passé de 1 350 000 à 1 250 000 ruches en 20 ans), « 300 000 ruches meurent chaque année et sans les apiculteurs, la situation auraient été encore pire », assure Henri Clément, porte-parole de l'Unaf depuis 2011, mais aussi et surtout apiculteur professionnel en Lozère. Son état d’esprit quant à l'avenir des abeilles ? « Je suis profondément optimiste mais la situation est préoccupante », concède-t-il.
Les abeilles ne font pas que produire du miel, et Henri Clément rappelle le rôle prépondérant de ces petits insectes sur la production alimentaire : « on en a besoin, c’est une question de société au même titre que l’eau, l'énergie et le réchauffement climatique ». Et l'apiculteur de poursuivre : « Cela concerne la biodiversité, la France a une grande diversité alimentaire et une richesse gastronomique possible grâce aux abeilles présentes sur Terre depuis 4 millions d’années ! ». Qu'on se le dise, les abeilles sont à l'origine de notre chaîne alimentaire, elle pollinisent à 80 % les cultures et ce n'est pas anodin si la présence de ruches dans les vergers est « une chose courante ».
Mais à quoi est due cette hécatombe ? Déjà, au développement de l'agriculture intensive de l'après-guerre qui a modifié le paysage rural, et à l'extension des champs de maïs et de tournesol qui « ont supprimé la diversité [de cultures] de nos campagnes », explique Henri Clément. Les abeilles ont pâtit - et pâtissent encore - de ce manque de diversité dont elles ont besoin pour vivre et produire du miel. Le deuxième facteur et non des moindres : les pesticides. L'introduction en 1994 des insecticides néonicotinoïdes utilisés comme traitement préventif sur les semences aura été fatal pour les abeilles. Ces neurotoxiques entraînent tremblement, hyperactivité, perte de mobilité et mortalité chez ces insectes. Enfin, les prédateurs comme le frelon asiatique et le varroa, un acarien originaire d'Asie du Sud-Est, créent des dommages dans les ruches, et les aléas climatiques (vent, froid et sécheresse) empêchent la production de nectar des fleurs, suc dont ont besoin les abeilles pour produire du miel. Trois facteurs qui expliquent une baisse de la population apicole et, par conséquent, de la production de miel. Existe-t-il pourtant des solutions pour y remédier ?
L'apiculture : plus qu'une passion, un combat
Il y a 20 ans, l'introduction des pesticides dans les cultures a eu un effet dévastateur sur les abeilles. Un changement radical qui ne laisse aucun doute quant à leur responsabilité. « Ces traitements ne tiennent pas compte de l'environnement et du développement durable, il faut revoir les procédés d’homologation pour protéger les abeilles », argue Henri Clément. Défendre les intérêts de l'apiculture, promouvoir et développer cette activité sont les fondamentaux de l'Unaf qui n'hésite pas à user de différents recours pour alerter l'opinion et les pouvoirs publics sur le sort réservé aux abeilles.
Scientifiques et juridiques tout d'abord, pour analyser l'impact des insecticides sur la mortalité des abeilles, « il y a une prise de conscience que les pesticides ne sont pas si bons que ça, on aiguillonne les pouvoirs publics pour que de leur côté ils fassent les contrôles nécessaires », précise l'apiculteur. D'ailleurs, la Commission européenne a interdit le 1er décembre 2013, après 15 ans de lutte, l'utilisation de quatre molécules insecticides dangereuses pour les abeilles. « On se bat comme des acharnés », confie l’apiculteur. Un premier grand pas mais loin d'être suffisant car il ne s'agit là que d'une interdiction partielle qui ne recouvre qu'une partie des cultures.
Enfin, les médias sont un bon moyen de diffuser leur combat. Outre la revue apicole « Abeilles et fleurs », l'Unaf a lancé en 2005, « L'abeille, sentinelle de l’environnement », un programme de sensibilisation « sur leur situation, leur rôle et sur les solutions apportées ». Une initiative qui se traduit, entre autres, par l'installation, dans les grandes et petites agglomérations, de ruches sur les toits d'entreprises ou de conseils régionaux, et dans des lieux emblématiques comme le restaurant gastronomique de Michel Bras à Laguiole, le Château de Versailles ou la Principauté de Monaco. Le but ? « Créer un maillage sur tout le territoire » et ainsi démontrer que les abeilles font le lien entre l’Homme et la nature.
Les fraudes liées au miel, l'autre calamité
La production de miel ne cesse de se réduire à portion congrue, et cela s'accompagne d'une hausse des importations : la France a importé 30 000 tonnes de miel en 2014 contre 6 000 tonnes seulement en 1995 (*). Ce fléau n'affecte pourtant pas que l'Hexagone, les abeilles se font rares partout dans le monde, exception faite en Asie qui se hisse à la première place mondiale des producteurs de miel. Mais qu'en est-il de la qualité de ce miel ? « On peut faire du bon miel partout dans le monde », assure Henri Clément, mais encore faut-il que le miel soit bien du miel ! L'ajout de glucose est, en effet, fortement répandu. Une fraude alimentaire quelque peu passée sous silence d'autant qu'elle ne porte pas préjudice à la sécurité alimentaire.
Alors, comment s'y retrouver lorsque les mentions d'origines renvoient à des formulations vagues telles que « Origine CE », « Origine hors CE », voire « Mélange de miels originaires et non originaires de la CE » ? Un manque de transparence et un étiquetage imparfait qui gagne à être revu. Le prix peut être un bon indicateur : « à moins de 4€ le kilo, ce sont des miels d'importation, à la traçabilité douteuse », peut-on lire dans un article du magazine Que choisir qui a analysé plusieurs miels pour confirmer ou infirmer l'ajout de sucre dans le miel (**). Conclusion, les miels « premiers prix » sont à proscrire et les miels « Origine France » sont à privilégier. Henri Clément recommande de se tourner vers les miels locaux, de terroir ou de se fournir directement auprès d'apiculteurs locaux.
Le miel parisien : l'outsider urbain
Qui aurait cru un jour que Paris deviendrait la ville où s’épanouiraient les abeilles ? Bon, c'est un peu exagéré mais sachez que le taux de mortalité des abeilles en ville (5 à 10%) est bien moindre qu'à la campagne (30%). Les raisons ? Un air - certes pollué - mais exempt de pesticides contrairement aux zones de grandes cultures rurales et une politique de la ville de Paris qui garantit une biodiversité dans les jardins publics et les espaces verts. De quoi butiner en toute quiétude. Une aubaine donc pour ces butineuses urbaines qui produisent un miel de « bonne qualité mais pas meilleur », selon Henri Clément, qu'en zones rurales. D'ailleurs, d'un point de vue quantitatif, avec moins de 100 kilos par an, Paris ne rivalisera jamais avec la région Rhône-Alpes, principale zone de production en France.
Mais l'intérêt est ailleurs : pour Henri Clément, précurseur dans l'installation de ruches en milieu urbain avec l'Unaf, « l'implantation urbaine permet de tirer la sonnette d’alarme sur le sort des abeilles », pour d'autres comme Audric de Campeau, jeune entrepreneur passé par HEC mais aussi apiculteur autodidacte, installer des ruches en milieu urbain est un moyen d'assouvir sa passion pour la nature et ces petites abeilles. Depuis 2010, ce trentenaire qui produit également du miel et du vin en Champagne, prend soin de ses ruches sur les toits de bâtiments les plus prestigieux de la capitale : des jardins de l’Hôtel National des Invalides aux toits du Musée d'Orsay en passant par ceux de l'Ecole Militaire. Des miels récoltés en quantité limitée - dont chaque pot est numéroté - sous la marque Le Miel de Paris disponibles chez Fauchon ou aux Galeries Lafayette Gourmet.
La prolifération des miels parisiens - la première récolte du miel produit sur les toits du centre commercial Beaugrenelle a eu lieu en septembre dernier - ou de la petite couronne avec le Miel béton de Seine-Saint-Denis, montre « un vrai engouement même si cela reste limité », renchérit Henri Clément. Dans les villes aussi, les abeilles se font de plus en plus rares et la production de miel varie également en fonction des aléas climatiques. « L'avenir du miel et des abeilles n’est pas à Paris ni dans les grandes villes », conclut l'apiculteur. Pas sûr que leur avenir soit assuré tout court.
(*) Chiffres de l'Unaf parus dans le dossier de presse 2014
(**) Humbert, Florence, Claire Garnier et Eric Bonneff, "Miels, des sucres ajoutés près d'une fois sur trois", Que choisir, septembre 2014, pp. 54-55.
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