Breuvage millénaire, il jouit aujourd'hui d'un regain d'intérêt. Depuis quelques années, les brasseries artisanales et les lieux dédiés à la bière de qualité poussent comme des champignons en France. Simple mode ? On est bien au-delà de ça.
Depuis 2007, l’association Bières et Papilles a recensé la création d’au moins 41 entreprises parisiennes ou de proche banlieue dédiées exclusivement à la bière artisanale, dont 18 brasseries. Un phénomène local ? Pas du tout. Pendant ces mêmes années, des brasseries artisanales, devenues très réputées depuis, fleurissent partout en France : la brasserie des Garrigues dans le Gard, la brasserie de la Vallée de Chevreuse dans les Yvelines, les brasseries du Mont Salève et de la vallée du Giffre en Haute-Savoie… La tradition brassicole française, endormie depuis trente ans, est en pleine résurrection, réveillée par des centaines de jeunes gens passionnés par la mousse.
Édouard a ouvert en 2015 avec son ami d’enfance Archibald, Bap Bap, une brasserie artisanale de 1800 m² en plein XIe arrondissement de Paris. « On a découvert la craft beer respectivement en Allemagne et à New York il y a trois ans. Là-bas, il y a des brasseries artisanales partout. À Paris, il n’y en avait aucune à part les FrogPubs, qui brassaient uniquement pour leurs bars », raconte-t-il. À l’époque, à Paris, on boit donc presque exclusivement de la bière industrielle et leur idée est de changer la donne : oublier la sainte trinité blanche/blonde/brune, explorer les centaines de styles de bières existants, jouer sur les ingrédients et les types de fermentation et proposer de la vraie bière artisanale. Thierry, qui ouvre au même moment la brasserie de la Goutte d’Or dans le XVIIIe, les conforte dans leur idée, comme ceux qui se lancent dans d’autres quartiers : la brasserie La Baleine du côté de Bagnolet, la brasserie La Parisienne dans le XIIIe, la brasserie Demory rue Quincampoix…
Boire moins, boire mieux
Qu’ils lancent leur affaire à Paris ou en province, tous ces nouveaux brasseurs semblent avoir les mêmes velléités : être indépendants et maîtres de ce qu’ils font – donc sans actionnaires -, être irréprochables sur la qualité des ingrédients et des recettes et s’inscrire dans une démarche du bon, du local, du durable. « Depuis plusieurs années, les gens reviennent au local, veulent du bio, consommer moins mais mieux. C’est dans cette logique-là que la bière artisanale a pu être remise au goût du jour », estime Christelle de L’Aurore, une brasserie tourangelle installée à Cormery (37) depuis 2009. Seulement, pour nos brasseurs, on parle de tout un marché à relancer : « Les houblonnières françaises ont fermé il y a 30 ans. On doit acheter le houblon à l’étranger, aux États-Unis, en Slovénie, en Belgique… La réimplantation de la culture du houblon se fait petit à petit en France. On espère pouvoir sourcer plus proche de nous à l’avenir », explique Édouard de la brasserie Bap Bap.
Quand la bière vaut un grand vin
« Pendant les trente dernières années, on a mis le vin en avant au détriment de la bière, qui faisait figure de produit bas de gamme pour beuveries. On a oublié que la bière pouvait être un grand produit, qu’il y a des bières de garde qu’on laisse mûrir des années comme des grands vins », explique Christelle. De fait, la bière est un vrai produit noble qui se goûte dans un verre à dégustation à une température bien spécifique pour en apprécier les arômes, qui sont d’ailleurs d’une richesse infinie. « La palette aromatique de la bière est potentiellement plus étendue que celle du vin, parce qu’on peut jouer sur plus de facteurs : le malt, le houblon, les levures, d’autres ingrédients parfois. La bière peut être fruitée, florale comme un vin mais aussi avoir des notes céréalières, fumées, tourbées… », explique Romain, l’un des cofondateurs du bar parisien La Fine Mousse.
Des bars à bières d'un nouveau genre
Fondé par quatre acolytes, La Fine Mousse est un bar à bières qui a ouvert en septembre 2012. « Notre idée, c’était de promouvoir la bière artisanale. On a beaucoup de brasseurs talentueux et les Français ne le savent pas. À Paris, ils vont payer entre 2 et 8 euros un demi de mauvaise bière industrielle alors que quelqu’un brasse de la bonne bière qui ne coûte pas plus cher deux rues plus loin. On fait la passerelle », explique Romain.
À La Fine Mousse, il y a 30 tireuses à bière artisanale et 150 références bouteilles, une cave de vieillissement pour les bières de garde. Le lieu - avec son grand bar circulaire - a été pensé pour favoriser l’échange et proposer un vrai conseil au client. « Les personnes les plus intéressantes, c’est celles qui croient qu’elles n’aiment pas la bière et qui, après dégustation, disent "en revanche, j’aime bien cette bière-ci et celle-là" », s’amuse Romain. Bref, les brasseurs font parler leur inventivité, des passionnés font connaître leur travail et on assiste à une vraie révolution du goût contre la standardisation industrielle et le sacro-saint combo "Kro - 16" des bars.
Mets-bières : les accords extraordinaires
En tant que noble nectar, la bière a naturellement sa place à table. Sur les bouteilles de bière de la Goutte d’Or, on suggère d’ailleurs au consommateur les accords mets-bière les plus heureux : la Château Rouge, aux arômes épicés et végétaux, se déguste de préférence avec des sushis, de la viande grillée ou des fromages affinés à pâte pressée. Quant à la 3 Ter, une blonde triple au café de la maison de torréfaction Lomi - une autre pépite artisanale du quartier de la Goutte d’Or – elle se marie à merveille avec les desserts au chocolat.
L’équipe de La Fine Mousse n’a de son côté pas tardé à ouvrir un restaurant dédié aux accords mets et bières artisanales juste en face de son bar de l’Avenue Jean Aicard. « On laisse carte blanche au chef Benjamin. Nous, on a la casquette de sommelier pour trouver les meilleurs accords », explique Romain. « Quand il fait une faisselle fumée avec grenailles rôties aux herbes, on propose une bière blanche acidulée et fumée d’un jeune brasseur allemand pour que les saveurs fumées se répondent, avec le foie gras, ça sera une bière québécoise un peu liquoreuse, boisée avec un goût de fruits secs, avec un tataki de saumon, une india pale ale sèche aux notes de fruits rouges du Mont Salève qui équilibre le gras du poisson. On peut s’amuser avec la bière ! Sur les fromages, les sommeliers de vin nous envient même, parce que c’est technique de faire des accords mets-vins. Avec la bière, on va plus facilement trouver des accords extraordinaires. » La révolution houblonnée est en marche.
Cet article, initialement été publié le 06/05/2016, a été mis à jour le 17/05/2019
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