C’est fin XIXe, début XXe, qu’il se fait un nom à travers le monde grâce à ses talents et savoirs culinaires. Inventeur – entre autres – de l’iconique Pêche Melba à qui l'on attribue volontiers (mais à tort) la paternité de la crêpe Suzette, Auguste Escoffier a marqué aussi bien son époque que la gastronomie telle que nous la connaissons actuellement. Portrait.
Un précurseur, visionnaire et humaniste
Auguste Escoffier ? Un chef moderne dans toute l’acception du terme. Formé sur les bases de la cuisine lourde et compliquée d’Antonin Carême (1784-1833), il prend très vite conscience de la nécessité de l’alléger et de l’importance de la nutrition. « Pour bien se porter, il faut tout d’abord ne manger que des mets légers et très faciles à digérer, ne pas trop se charger par un excédent de nourriture. Un changement progressif s’imposera dans le régime alimentaire humain », explique-t-il alors. Artiste dans l’âme aimant écrire, il sort Le guide culinaire au début du XXe siècle, livre phare au sein duquel il codifie les bases de la cuisine française. Des bases toujours en vigueur.
De l’Europe à l’Amérique, le chef star des années 1880 – 1920 cuisine pour les plus grandes célébrités. Il imagine pour elles des centaines de recettes, à l’instar de la Pêche Melba ou des fraises Sarah Bernhardt. Outre le fait de servir une cuisine allégée, il révolutionne également le monde de la restauration en luttant contre le gaspillage, inventant le « menu à prix fixe » et devenant le premier chef à collaborer avec un industriel de l’alimentation. Dans les années 1875, il invente en effet la tomate concassée pelée en boîte. Un produit auquel personne ne croyait et pour lequel il met quinze ans à trouver un fabricant. Il anticipe aussi l’évolution de la cuisine : « sans cesser d’être un art, elle deviendra scientifique » et « évoluera comme évolue la société elle-même ». Cela se vérifie avec l’avènement de la Nouvelle Cuisine et aujourd’hui, avec celui de la street-food.
Humaniste, de son vivant, il veille également sur ses cuisiniers et leurs familles (aucune protection sociale n’existait alors). Il publie une brochure appelée « Projet d’assistance mutuelle pour l’extinction du paupérisme », où il formule les bases d’une sécurité sociale.
Pour toutes ces raisons, il reste, encore aujourd’hui, un modèle pour les professionnels de la gastronomie.
Un Chef qui se rêvait sculpteur
Issu d’une famille d’ouvriers, Auguste Escoffier naît le 28 octobre 1846 à Villeneuve-Loubet dans les Alpes-Maritimes. Enfant de forgeron, il se rêve sculpteur. Mais à 13 ans, on le place d’autorité en apprentissage chez l’un de ses oncles, propriétaire d’un restaurant à Nice. Tout n’y est pas facile mais il réalise très vite l’importance de la cuisine, y prend goût et se jure alors de devenir chef de cuisine. Il s’intéresse à tout, y compris au service en salle et à l’achat des produits (qui n’était pas alors du ressort d’un apprenti). Pendant ses rares temps libres, il offre gracieusement ses services à un confiseur.
Son apprentissage de trois ans terminé, il travaille comme « premier aide » dans différents restaurants de la région. Il y est remarqué par un client, propriétaire d’un restaurant-cabaret parisien, le Petit Moulin Rouge. Un lieu très à la mode où toute la bonne société d’alors, française et étrangère, se dispute les tables. Il y est engagé, toujours comme « aide cuisine » en avril 1865, y reste plusieurs années sous les ordres d’un chef brutal et alcoolique, gravit les échelons et découvre le monde des “people” de l’époque.
Mobilisé par la guerre de 1870, il devient ensuite chef de l’état-major de l’armée du Rhin et apprend à cuisiner autrement, surtout quand les denrées sont rares.
De Paris à Monte-Carlo : les célèbres tablées d’Escoffier
Auguste Escoffier devient Chef de cuisine du Petit Moulin Rouge au printemps 1873. Il ne cesse de créer des recettes et nourrit les plus hautes personnalités, auxquelles il dédie souvent ces dernières. Parmi elles, le Prince de Galles, fils de la Reine Victoria, qu’il sert jusqu’à son couronnement en 1901, Léon Gambetta, Patrice de Mac-Mahon, ou la comédienne Sarah Bernhardt, qui restera une amie toute sa vie et pour laquelle il invente une recette de poularde puis une autre de fraises. En 1878, il prend la direction de la Maison Chevet au Palais-Royal, le plus grand et plus luxueux traiteur de l’époque. Il y apprend à organiser de grands repas, en France comme à l’étranger.
En 1883 il fait la rencontre décisive de César Ritz, directeur d’hôtel avec lequel il travaillera toute sa vie. À eux deux, ils forment un couple chef de cuisine – directeur d’hôtel qui reste encore un modèle dans la profession, et bâtissent l’hôtellerie de luxe. César Ritz dirige alors d’une part le Grand Hôtel à Monte-Carlo où se retrouvent l’hiver aristocrates européens, magnats de la finance, divas et comédiennes - la Riviera étant devenue à la mode - et d’autre part, l’Hôtel National de Lucerne en Suisse où la riche clientèle vient chercher la fraîcheur des montagnes en été. Escoffier, désormais chef star, allège sa cuisine et enchaîne les créations. Il dédie beaucoup de ses plats à des femmes célèbres : toutes sont ses fans !
À Londres, dans les cuisines du Savoy
En 1890, César Ritz prend la direction du tout neuf et luxueux hôtel Savoy à Londres et Escoffier celle des cuisines… mais les Anglais ne comprennent rien aux cartes rédigées en français ! Le cuisinier émérite invente alors le menu à prix fixe et fait un tabac auprès du gotha international qui a pris ses quartiers au Savoy. Il sert même des grenouilles aux Anglais en inventant les fameuses « Cuisses de nymphes à l’Aurore », et crée la Pêche Melba après avoir assisté à une représentation de Lohengrin dont la vedette n’est autre que la célèbre cantatrice Nellie Melba.
En même temps, César Ritz dirige ou achète différents hôtels en Europe, et Auguste Escoffier y organise les cuisines en formant le Chef et en constituant les brigades. César Ritz fait également construire l’Hôtel Carlton à Londres et l’Hôtel Gramont place Vendôme à Paris, qu’il transforme et qui deviendra l’Hôtel Ritz. Les deux hommes quittent le Savoy en 1897.
À Paris, dans les cuisines du Ritz
Le Ritz ouvre ses portes en juin 1898, lors d’une soirée réunissant tous ceux qui comptent à Paris, et devient très vite l’endroit à la mode. Il est encore plus moderne et somptueux que le Savoy. Escoffier y a formé la brigade et organisé les cuisines. Si ces dernières sont éclairées à l’électricité, les fourneaux – eux - sont à bois et à charbon, car ce sont encore eux qui produisent la meilleure chaleur. Auguste Escoffier fait alors fabriquer par Christofle les plats carrés dont il rêve depuis son apprentissage.
À Londres, dans les cuisines du Carlton
Le Ritz ouvert, Auguste Escoffier s’empresse de rejoindre Londres pour terminer de mettre les cuisines du Carlton en place et constituer la brigade de 60 cuisiniers qui assure jusqu’à six cents couverts par jour et nombre de réceptions.
Le Carlton ouvre le 15 juillet 1899 et la riche clientèle du Savoy s’y précipite, le Prince de Galles en tête. Auguste Escoffier ne cesse de créer de nouvelles recettes, et modifie la recette de la Pêche Melba en y ajoutant de la purée de framboises. sa femme demeure à Monte-Carlo mais lui loge sur place, menant une vie de moine- cuisinier entre ses cuisines, son bureau et ses clients. Il voyage aussi beaucoup pour l’organisation des nouveaux hôtels ouverts par César Ritz en Europe, met en place les cuisines des premiers grands paquebots de la Hamburg America Line et rencontre à cette occasion Guillaume II, l’empereur allemand.
En 1919, il reçoit le titre d’Officier de la Légion d’honneur des mains de Raymond Poincaré, président de la République française. C’est la première fois qu’on l’attribue à un cuisinier. Auguste Escoffier est fait Grand officier de la Légion d’honneur en 1928. Il est au fait d’une popularité incroyable dans le monde de la cuisine et de la clientèle de luxe.
La retraite dynamique d’Auguste Escoffier
En 1920, Auguste Escoffier a soixante-dix ans. Il décide de prendre sa retraite et rejoint sa femme à Monte-Carlo. Très vite, il s’ennuie. Croulant sous les invitations de toutes sortes, il s’en va inaugurer des expositions et présider des jurys culinaires un peu partout en Europe et retourne plusieurs fois aux États-Unis.
Julius Maggi vient le chercher pour faire des essais avec son produit l’Arôme Maggi. Il l’aide à mettre au point le Bouillon Kub et en fait même la promotion en préfaçant un livre de recettes. Il écrit Ma Cuisine, Souvenirs culinaires et différents articles qui seront publiés par sa famille en 1985.
C’est à l’âge de 89 ans, le 12 février 1935 à Monte-Carlo, soit 15 jours après la disparition de sa femme, qu’il s’éteint.
Auteur culinaire prolifique et professionnel hors-pair de la communication
Auguste Escoffier a toujours beaucoup écrit et communiqué car il avait à cœur de promouvoir les produits et la cuisine française. En 1883, juste avant sa rencontre avec César Ritz, il crée L’Art culinaire, revue de l’association professionnelle aujourd’hui devenue la Société des cuisiniers.
En 1903, il publie la première édition de l’ouvrage Le guide culinaire (il y en aura quatre autres). Ce répertoire de 5000 recettes imaginé pour faciliter la vie des cuisiniers reste aujourd’hui considéré par les professionnels du monde entier comme la bible de la cuisine française.
En 1911, il fonde, à Londres, la revue Le Carnet d’Épicure destinée à promouvoir le tourisme en France. Dans la foulée, il met en place la Ligue des Gourmands, un club réunissant les nombreux abonnés à cette revue et invente les Dîners d’Épicure : un même menu servi le même jour dans différentes villes européennes. Le 25 mai 1911, le premier réunit 4000 personnes dans trente-sept restaurants européens. Pour le dernier, le 14 juin 1814, cent quarante-sept restaurants participent. Sacrée organisation à une époque où le téléphone était encore rare ! Le Chef Alain Ducasse a d’ailleurs repris ce concept avec l’opération « Goût de / Good France ».
En 1912, Auguste Escoffier publie Le Livre des menus et la troisième édition du Guide culinaire. En 1919, sort l’Aide-mémoire culinaire, livre destiné aux maîtres d’hôtel. Cet abrégé de ses recettes doit permettre au personnel de salle d’expliquer les plats aux clients. En 1928, il signe deux recueils de recettes pour la collection La vie à bon marché :* Le riz* et La morue. Ma cuisine, recueil de cuisine bourgeoise, est la dernière publication qui voit le jour, un an avant sa disparition. Destiné au grand public, le livre rassemble pas moins de 2500 recettes du chef star.
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