Argenteuil, Vichy, Clamart : pourquoi certaines préparations portent-elles des noms de villes ?
Par Paule Neyrat / Diététicienne-nutritionniste - 26 juil. 2017
Société

Certains plats de la cuisine française portent le nom d’une ville, d’une région ou d’un pays. Quelles en sont les raisons ? Tour d’horizon historique et géographique pour comprendre les intitulés derrière ces recettes.

Crédits : timolina/stock.adobe.comPourquoi peut-on dire du bœuf qu'il est bourguignon ? À cause du vin et de la viande originaires de Bourgogne, qui sont utilisés pour faire la recette... tout simplement !

Argenteuil, un haut lieu de culture pour l’asperge

Crédits : Corinna Gissemann/stock.adobe.comC'est grâce à ce légume qu'Argenteuil a été reconnue capitale de l'asperge au XXe siècle.

Quand une préparation contient des asperges en purée ou en pointe, elle se nomme Argenteuil. C’est au Moyen Âge que la culture de l’asperge a commencé autour de ce village situé en Île-de-France, riche en terres sablonneuses. Mais elle ne s’y est vraiment développée qu’au XIXème siècle. En 1860, Louis Lhérault créée une nouvelle variété, blanche, grande et précoce, qu’il appelle « Asperge d’Argenteuil ». Elle envahit la cuisine gastronomique française au point que plus d’un million de tonnes seront vendues en 1900, accompagnant tous les produits. Ainsi, les Œufs Argenteuil étaient au menu du déjeuner du Titanic des passagers de première classe le 14 avril 1912, jour de son naufrage.

Aujourd’hui encore, plus de 100 ans après, quelques agriculteurs cultivent toujours des asperges autour d’Argenteuil.

Pourquoi dit-on du bœuf qu’il est bourguignon ?

L’origine de cette appellation coule de source. Le bœuf bourguignon est un plat qui rassemble deux produits emblématiques de la Bourgogne : le bœuf élevé dans le Charolais, et le vin dont cette région est particulièrement riche. Ce qui était un plat régional paysan est devenu quasiment mondial.

Le canard « à la rouennaise »

Cette recette emblématique du pays rouennais est aussi appelée « Canard de Duclair à la presse ». Elle remonte à 1880, alors que des canards sauvages font étape dans la région rouennaise, à Duclair. Là, ils s’empressent de courtiser les canes des basse-cours. Naissent des canetons plus gros. Le Père Denise, un aubergiste de Duclair, a alors l’idée de les utiliser tout de suite, se servant directement dans sa basse-cour. En 30 minutes, le caneton est étouffé, plumé et rôti à la broche au feu de bois. Il présente les aiguillettes saignantes, les pattes et les ailerons moutardés et sert le tout accompagné d'une sauce confectionnée avec le foie et des échalotes.

Plus tard, on pressera la carcasse, liée avec la sauce préparée au sang. Cela deviendra le « Caneton à la rouennaise », qui selon les cuisiniers, sera ensuite intitulé « Canard au sang » ou « Canard à la presse ». Le canard Duclair fait maintenant l’objet d’un élevage conservatoire. Pour cette recette, on utilise un canard de Rouen, élevé depuis des siècles dans la région normande.

Les carottes dites « Vichy »... et la crème « Vichyssoise »

Aux XVIème et XVIIème siècles, la station thermale de Vichy (dans l’Allier) est très fréquentée par la noblesse. Mais c’est au XIXème, grâce à Napoléon III qui vient y soigner ses calculs rénaux, qu’elle prend vraiment son essor. On ne sait à quelle date exacte le chef cuisinier des lieux a l’idée, assez naturelle, de cuire des carottes coupées en rondelles dans de l’eau de Vichy, riche en bicarbonate, mais cela a l'avantage de les attendrir vite et d'être bénéfique dans la lutte contre ces calculs. L’image de « régime » a alors été associée à cette préparation ; elle le demeure bien que l’on puisse y ajouter du beurre ou une cuillère de crème fraîche !

La Vichyssoise, soupe froide de poireaux et de pommes de terre, n’a rien à voir avec Vichy. A New-York, lors de l’été caniculaire de 1917, Louis Diat, chef français du Ritz de New-York, sert cette recette de sa grand-mère. Il l’appelle ainsi en raison de sa légèreté et remporte un grand succès.

Choisy, la ville où règne la laitue

Toutes les recettes Choisy comportent de la laitue. Cette appellation date du XVIIème siècle car les laitues de Choisy sont alors les meilleures. Ce village devient Choisy-le-Roi (actuellement dans le Val de Marne) lorsque Louis XV y achète son château et y installe Madame de Pompadour.

Clamart et Saint-Germain, les spécialistes du petit pois

Crédits : Grafvision/stock.adobe.comLouis XIV adorait les petits pois si bien qu'il en a fait cultiver... dans son potager versaillais !

Bien avant d’être une ville située dans la partie sud des Hauts-de-Seine, la terre de Clamart était composée de quatre fiefs appartenant à différents nobles. Ils sont réunis en un seul sous Louis XIV et le hameau de Clamart devient un lieu à la mode pour les Parisiens. Le roi, quand il découvre les petits pois qu’on lui apporte d’Italie, y prend goût et en fait planter dans son potager à Versailles. Puis leur culture se répand ensuite sur le plateau de Clamart. Depuis, on y célèbre le petit pois chaque année, en juin.

Quant à Saint-Germain, la préparation la plus connue est le potage qui se préparait à origine avec des petits pois frais et non secs et cassés. Mais on ignore d’où il vient : il aurait été créé sous Louis XIV et dédié au Comte de Saint-Germain. Il est également dit qu’il se nomme ainsi car la culture du petit pois se serait aussi répandue à Saint-Germain-en-Laye.

Crécy et les carottes

Potage, purée... tout ce qui porte le qualificatif « Crécy » est à base de carottes. Depuis des temps immémoriaux, on cultive des carottes sur les terres autour de Crécy, qui devient Crécy-la-Chapelle en 1972. Une localité située en Seine et Marne et souvent surnommée la Venise briarde. Mais il existe un autre Crécy dans le Nord, Crécy-en-Ponthieu, célèbre par la bataille qui y a été livrée en 1346 et qui marque le début de la Guerre de Cent Ans. Certains historiens fixent la création du Potage Crécy à cette date : il aurait nourri l’armée britannique. Le doute demeure.

À "la Dieppoise", d'abord de la sole

La référence est bien évidemment celle du port de Dieppe, un des hauts lieux de la pêche en Normandie. Et avec le temps, cette dernière s’est élargie à toutes les préparations de poissons et de certains coquillages. Mais il semble bien que la « Sole à la dieppoise » soit la mère de tous ces plats si l’on en juge par ce qu’a écrit Alexandre Dumas dans son Grand Dictionnaire de Cuisine : « la meilleure sole est de couleur gris lin : on la trouve dans les eaux de Dieppe ». Le mystère demeure toutefois quant à la création de la recette, d’autant plus qu’il en existe différentes versions : avec des champignons et des huîtres, selon Joseph Favre dans son Dictionnaire universel de la cuisine, (1883), avec des moules et des crevettes selon Auguste Escoffier dans son Guide culinaire (1903). Il en va de même dans le Larousse Gastronomique où, néanmoins, on peut y ajouter des champignons.

Milanaise ou viennoise : du veau pané

Crédits : ALF photo/stock.adobe.comVoilà une escalope milanaise qui donne envie !

Il s’agit toujours d’une escalope de veau panée et poêlée. La milanaise vient évidemment de Milan et l’on en trouve la première trace dans un recueil de recettes datant de 1183. La différence entre les deux réside dans la panure. Selon le Guide culinaire d’Auguste Escoffier : panure « à l’anglaise avec de la mie de pain fine mélangée de Parmesan râpé » pour la milanaise et simple panure à l’anglaise (farine, œuf, chapelure) pour la viennoise. Au XIXème siècle, la paternité de cette recette est l’objet d’âpres disputes entre cuisiniers autrichiens et lombards. La Lombardie (dont la capitale est Milan) avait été donnée à l’Autriche lors du Congrès de Vienne (1814 – 1815), d’où nombre de révoltes et de batailles jusqu’en 1859, date à laquelle les Lombards finirent par se débarrasser de l’Autriche.

La glace dite « Plombières »

Cet entremets aurait été servi à Napoléon III, en 1858, lorsqu’il rencontre Cavour à Plombières-les-Bans, dans les Vosges, pour une négociation diplomatique. Ce n'est pourtant pas l’origine de son nom ! Elle réside en fait dans le moule qui était alors en plomb. Au début du XIXème siècle, Tortoni, glacier-confiseur parisien, servait une glace aux œufs et fruits confits formée dans un tel moule et l’a ainsi nommée.

Quid de l’omelette norvégienne ?

Crédits : faithie/stock.adobe.comL'omelette norvégienne n'a rien d'une omelette... et n'est même pas originaire de Norvège.

Non seulement ce n’est pas une omelette, mais son origine ne se trouve pas en Norvège ! Son existence est due au physicien américain Benjamin Thomson Rumford. En 1804, il démontre que le blanc d’œuf est un mauvais conducteur de la chaleur et il bricole un dessert qu’il appelle « omelette surprise ». En 1867, année de la seconde Exposition Universelle à Paris, lors d’un dîner offert par la Ville à la Délégation chinoise au Grand Hôtel, boulevard des Capucines à Paris, Balzac, non pas l’écrivain mais le chef, décide de créer un dessert « scientifique » et s’inspire de cette recette. D’où la meringue pour protéger la glace.

Quant à son nom, deux versions existent. L’une dit que le Chef Balzac n'était pas vraiment calé en géographie. Benjamin Thompson avait longtemps vécu à Munich, qui appartenait alors au royaume de Bavière. Royaume que le Chef, voulant discrètement dédier son dessert au scientifique, situa en… Norvège. L’autre version raconte que le chef Balzac a appelé son dessert « Omelette surprise » et que c’est Jean Giroix, chef de l’Hôtel de Paris à Monte-Carlo qui, reprenant cette recette en 1895, la baptisa d’abord « Omelette à la suédoise » et ensuite « Omelette norvégienne ».

L’histoire derrière les pommes « Pont-Neuf »

Il s’agit de pommes de terre frites mais qui répondent à une taille bien précise : 7 x 1 cm. Ce qui oblige à parer les pommes de terre avant de les tailler. Cette appellation apparaît pendant la Révolution française. Sur le plus vieux pont de Paris, on cuisine et on vend de très longues pommes de terre cuites dans de l’huile bouillante. On ignore qui a fixé la taille de sept centimètres. Auguste Escoffier, le grand codificateur de la cuisine française, précise seulement une taille de « bâtonnets d'un centimètre de côté » dans son Guide culinaire. Mais il impose les deux cuissons, dont la dernière juste au moment de servir et précise que « c’est le type fondamental des pommes de terre frites ».

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